A l'affût de la Parole

Belle?

2 septembre 2021

Ma vieille tante carmélite attendait ce pain, cette caresse. A plus de quatre-vingt ans, tout usée, presque pliée en deux, elle se retrouve pour la première fois en clinique, dans une chambre commune. Je lui rendais visite de temps en temps. Un après-midi, à ma grande surprise, je découvre en arrivant qu’on lui a enlevé le voile. Je n’avais jamais vu ses cheveux. De beaux cheveux de laine blanche étonnamment conservés. Des cheveux d’amandiers. J’ai glissé la main dans ce doux paysage enneigé et je lui ai longuement caressé la tête. Elle vivait ses dernières semaines et j’ai souvenir qu’à chaque rencontre, ce rite de la caresse des cheveux nous réchauffait autant l’un que l’autre. Elle parlait encore. Un jour, elle m’a demandé d’un air rieur, presque effronté : « Est-ce que je suis belle aujourd’hui ? » Merveille que cette coquetterie-là ! Ainsi, après soixante ans de vie contemplative, à l’entrée de la mort, une petite religieuse qui n’avait pas vraiment mesuré la nécessité d’un nouveau concile, renverse la clôture, revisite la fidélité et se donne un vrai rendez-vous. « Est-ce que je suis belle ? »

Gabriel Ringlet

Je retrouve le goût des caresses pour éveiller ceux que j'aime et m'éveiller au secret de leur présence.

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